© Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer)
Depuis 125 millions d’années, 400 km de bassin océanique sépare Madagascar de l’Afrique. Or, certains vertébrés comme les fameux lémuriens, aurait réussi à migrer de l’Afrique vers Madagascar durant cette période. Une première hypothèse permettant d’expliquer cela (les lémuriens ne savent pas nager) est qu’ils auraient traversé le canal sur des radeaux naturels. Mais divers paramètres, comme la distance entre l’Afrique et la Grande île et les ressources nécessaires pour une telle traversée, remettent en cause cette hypothèse.
Campagne
Certains scientifiques suggèrent l’existence d’un possible pont terrestre entre le continent africain et Madagascar. Déjà en 2016, la campagne PAMELA a permis la réalisation de reconstitutions du canal du Mozambique à différentes époques du cénozoïque (la plus récente et la plus courte des ères géologiques, dans laquelle nous vivons. Avec une durée estimée à 65,5 millions d’années), qui montrent que la « Ride de Davie », une structure géologique majeure de la région orientée globalement Nord-Ouest/Sud-Est le long de la marge malgache occidentale, était émergée. La « Ride de Davie » serait donc ce « pont » qui aurait permis aux espèces de traverses au fil des millénaires.
Ce ne serait pas la première fois qu’un pont terrestre relie les continents. Le pont de Béring reliait la Sibérie à l’Alaska pendant l’ère glaciaire. Le pont terrestre, aujourd’hui submergé sous le détroit de Béring entre l’Alaska et la Russie, était au-dessus de l’eau il y a environ 36 000 ans et jusqu’à il y a 11 000 ans. Il avait permis à des espèces (bisons, mammouth, chevaux…) de passer de l’Eurasie à l’Amérique du Nord.
Compréhension
Une nouvelle mission d’exploration d’envergure tendrait également à abonder dans ce sens. Du 29 mai au 20 juin 2024 a eu lieu la campagne SEZAM (SEdimentation des apports du ZAMbèze) sur la partie centrale du Canal du Mozambique, autour des îles Eparses, afin d’acquérir les données nécessaires à la compréhension de l’alimentation du canal du Mozambique en sédiments continentaux issus du fleuve Zambèze et en sédiments carbonatés produits par les plates-formes isolées d’Europa et Bassas da India principalement.
À bord du navire océanographique Marion Dufresne, des scientifiques de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’Université de Bretagne Occidentale ont exploré la partie centrale du canal de Mozambique. Ils ont découvert dans la partie profonde de ce bassin océanique non seulement des épaisseurs de sédiments insoupçonnées mais également plusieurs nouveaux monts sous-marins. Ces premières observations invitent à préciser certains détails de l’histoire tectonique, sismique, climatique et environnementale de l’océan Indien de ces derniers millions d’années.
« Nous savons que les mouvements verticaux de la ride de Davies, située dans le canal au nord de notre zone d’exploration, expliquent une bonne partie de l’isolement de Madagascar et de l’endémisme de sa faune et de sa flore. D’après notre hypothèse, ces mouvements seraient en effet responsables de l’effondrement d’un pont continental qui reliait autrefois l’île et le continent, Aujourd’hui, la découverte de ces nouveaux volcans sous-marins montre que ces mouvements verticaux ont affecté une zone plus large que celle établie jusqu’ici », note Gwenael Jouet, Co-chef de mission et Chercheur en sédimentologie à l’Ifremer au sein de l’unité Geo-Ocean.
Passages
Dans des termes simples, Madagascar s’est séparée de l’Afrique il y a 120 millions d’années et a dérivé jusqu’à sa position actuelle. La « crête de Davie », une formation géologique dans le canal du Mozambique, aurait émergé à plusieurs reprises, créant des passages potentiels pour les espèces.
Pour compléter les données de cartographie, l’équipe a collecté huit carottes sédimentaires, de 8 à 45 mètres de long, qui permettront prochainement de préciser l’âge et la nature de ces sédiments. Les scientifiques pourront ainsi mieux identifier les périodes d’alimentation en sédiments, leur provenance, et retracer l’histoire environnementale, climatique, tectonique et sismique de la zone sur plusieurs millions d’années.
La youtubeuse Valentine Delattre, connue pour vulgariser les géosciences sur sa chaîne Science de Comptoir, avait embarqué sur le Marion Dufresne pour faire vivre au public la campagne Sezam. Dans une vidéo, elle partage les premiers éléments de réponse sur l’extraordinaire biodiversité malgache recueillis durant la campagne.