© Compagnie de gendarmerie d’Ambohidratrimo
Rappel des faits
Dans la soirée du 24 décembre, vers 19 heures, lors d’une patrouille nocturne, des éléments de la compagnie de gendarmerie d’Ambohidratrimo ont remarqué deux voitures stationnées sur le bas-côté à Morondava, du côté d’Antehitoka.
« Une personne sortait une valise d’une voiture pour la transférer dans un autre véhicule. (Des éléments de la gendarmerie) se sont approchés pour demander l’identité des occupants des deux voitures. Certains d’entre eux ont prétendu être parlementaires, mais sans présenter de document pouvant le prouver. L’un d’eux a également invoqué son immunité parlementaire pour refuser que sa voiture soit fouillée », a rapporté la page Facebook de la compagnie de gendarmerie d’Ambohidratrimo, le jour de Noël.
Après avoir procédé aux fouilles des individus et des véhicules, 112 tortues ont été retrouvées dans les valises en question. Effectivement, il s’agissait d’un député, Romeo Christophe Ramanatanana, élu sous la bannière indépendante à Soavinandriana, dans la région Itasy, et de ses assistants.
Qu’a dit la justice ?
Les présumés trafiquants de tortue ont été présentés ce 26 décembre devant le tribunal du pôle anti-corruption (PAC). Après leur passage devant le parquet, le député de Soavinandriana et ses collaborateurs (assistants parlementaires et conseillers techniques) ont été placés en détention préventive à Tsiafahy. Ils y seront détenus en attendant la suite des enquêtes et leur procès. « Le blanchiment d’argent figure également à leur motif d’inculpation. Le policier a insisté sur son immunité parlementaire, mais cela ne compte pas », rapporte L’Express de Madagascar qui cite une de ses sources.
Que risquent le député et les autres personnes mêlées dans cette affaire ?
La tortue radiée (astrochelys radiata) figure parmi les espèces emblématiques de l’île de Madagascar, c’est l’une des espèces de reptiles les plus menacées dans le monde. A en juger par les photos dévoilées par la gendarmerie, il s’agirait essentiellement de cette espèce. La tortue radiée est considérée en état critique d’extinction (CE) par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et bénéficie d’un statut de protection important au niveau international (Annexe 1 de la liste CITES). L’Annexe I comprend toutes les espèces menacées d’extinction qui sont ou pourraient être affectées par le commerce.
La Loi n°2005‑018 du 17 octobre 2005 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages prévoit que « la possession, l’achat, l’acquisition à des fins commerciales, l’utilisation dans un but lucratif, l’exposition au public à des fins commerciales, la vente, la détention pour la vente, la mise en vente et le transport pour la vente de tout spécimen appartenant à une espèce inscrite aux Annexes I, II, III (sont punis) d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 10 000 000 à 50 000 000 d’ariary ».
L’article 30 prévoit également que « ceux qui ont commis les infractions prévues aux paragraphes (comme le transport de spécimens vers ou à partir de Madagascar, et le transit de spécimens via le territoire national sans le permis ou le certificat réglementaire délivré conformément aux dispositions de la présente loi et de ses textes d’application, et, dans le cas de l’exportation ou de la réexportation en provenance d’un pays tiers partie à la Convention, conformément aux dispositions de ladite Convention ou sans fournir la preuve de l’existence d’un tel permis ou certificat) sont punis d’une peine de deux à dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 000 à 200 000 000 d’ariary ou de l’une de ces deux peines seulement (sans préjudices des autres sanctions pénales applicables) ».
A minima, les présumés auteurs de cette tentative de trafic, si le motif est reconnu comme tel, risque d’encourir ces peines. En tant que député, Romeo Christophe Ramanatanana risque la déchéance également. L’article 73 de la Constitution dispose qu’« aucun député ne peut, pendant les sessions, être poursuivi et arrêté en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée, sauf en cas de flagrant délit. Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée, sauf en cas de flagrant délit de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ».
Qu’a dit le Ministère de l’Environnement et du développement durable ?
Dans une vidéo partagée à la presse, Max Andonirina Fontaine, ministre de l’Environnement et du développement durable, a voulu lancer un message de fermeté. « Nous appliquons la tolérance zéro. Il n’y aura aucune clémence pour tous ceux qui sont concernés dans l’abus de nos richesses naturelles que ce soit de simples citoyens, des autorités, qu’ils aient de l’argent ou pas. L’arrestation de ce député n’est qu’une étape », a-t-il soutenu. Le ministre de l’Environnement et du développement durable indique coopérer avec la justice, les forces de l’ordre mais également avec les communautés locales pour endiguer les trafics.
Quelle a été la réaction de la société civile ?
Lors d’une rencontre avec la presse, ce 27 décembre, des organisations de la société civile se sont réjouies de l’arrestation. 80 organisations engagées pour la protection de l’environnement ont uni leur voix dans un communiqué pour dire « non à l’impunité face au trafic des ressources naturelles ». « Enfin un gros poisson a été capturé, depuis le temps », a félicité Ndranto Razakamanarina de l’Alliance Voahary Gasy. « Nous, organisations de la société civile travaillant dans l’environnement et militant pour une meilleure gouvernance de nos ressources naturelles, condamnons fermement ces agissements. Nous exigeons une sanction exemplaire contre ces personnalités, ainsi que la levée de l’immunité parlementaire des individus appréhendés en flagrant délit », peut-on lire dans leur déclaration commune.
La Transparency International-Intiative Madagascar s’est montrée résolument offensive. « Il est désolant de constater qu’un élu sur lequel les citoyens ont placé leur confiance soit à l’origine de cette situation. Il apparaît évident que ce n’est même pas l’amour de la patrie qui l’a motivé à se présenter aux élections mais par opportunisme afin qu’il puisse s’adonner aux affaires. L’Assemblée Nationale est une institution importante. Elle ne doit pas être le repaire de malfrats. L’immunité parlementaire, rappelons-le, ne doit pas être instrumentalisée pour devenir un bouclier face aux crimes et aux délits », a dégainé l’organisation.
Qu’a dit l’Assemblée Nationale ?
Au moment où nous écrivons ces lignes, le Bureau permanent ou d’autres parlementaires n’ont pipé mot. Un journaliste de Midi Madagasikara, généralement bien informé, a écrit dans les colonnes du quotidien que le bureau permanent aurait lâché le député de Soavinandriana. « Joint au téléphone hier (25 décembre, NDLR), un des sept vice-présidents de la Chambre basse a annoncé que le Bureau permanent et l’Assemblée nationale ne se prononceront pas sur cette affaire. Il faut laisser la Justice faire son travail d’une manière impartiale et indépendante car il s’agit d’un flagrant délit, a soutenu ce Vice-président de l’Assemblée, tout en (ajoutant) que Tsimbazaza ne souhaite pas et ne fera aucune démarche ni pour défendre ce député trafiquant ni pour faire pression ou intervenir auprès de la Justice. Ce genre d’agissement ternit l’image de l’Assemblée nationale », explique le quotidien.