La Coalition pour la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples (High Ambition Coalition for Nature and People – HAC) fait partie des initiateurs de l’atelier national sur l’objectif 3 du Cadre Mondial pour la Biodiversité, plus communément connu sous l’appellation « Objectif 30×30 ». Rita Maria El Zaghloul, directrice de cette coalition, nous a accordé une interview en marge de cet événement.
Bleen : Pouvez-vous nous parler de la HAC et de ses objectifs ?
Rita Maria El Zaghloul (R.M.E.Z.) : La HAC est une coalition de 120 pays qui travaillent dans l’objectif de protéger au moins 30% des aires marines et terrestres d’ici 2030. Elle a été créée en 2019 et a été lancée en France en 2021 lors du One Planet Summit. Au début, c’était une coalition à buts politique et diplomatique pour aboutir à un accord qui inclut cette protection d’au moins 30% des espaces maritimes et terrestres d’ici à 2030. Cet objectif a été adopté lors du Kunming Montréal. Aujourd’hui, la coalition a un peu changé.
Nous sommes passés d’une coalition à but politique à une coalition avec un peu plus d’actions et de mise en œuvre. Un secrétariat a été créé, sachant qu’auparavant, la coalition n’était composée que de pays. Ce secrétariat a pour rôle d’appuyer les pays à mettre en œuvre l’Objectif de 30×30. Nous aidons les pays à atteindre ces objectifs en se focalisant sur deux éléments principaux à savoir la politique et la technique. Et pour ce faire, nous nous concentrons sur 4 piliers.
En premier, la mobilisation politique. Il faut faire en sorte que le “30×30” soit intégré aux événements aux plus hauts niveaux, c’est-à-dire aux réunions qui réuniraient les Présidents et des ministres. Pour être sûrs que la crise de la biodiversité soit mise sur la table à ces niveaux-là. En second lieu, à travers le renforcement de capacités. Nous avons créé une plateforme pour donner des connaissances à toutes les personnes qui mettent en œuvre cet objectif, ce que nous appelons le “30 by 30 solutions toolkit”. Les deux derniers points sont le match-making technique et le match-making financier. Nous mettons en connexion les demandes aussi bien techniques que financières de nos pays, par rapport à l’objectif 30×30, avec les organisations et partenaires avec lesquels nous travaillons. Nous travaillons avec plus de 42 organisations et nous leur demandons de partager leurs offres. Ainsi, quand nous recevons les demandes de ces pays, nous les connectons avec ces offres.
Bleen : Quelles sont donc vos actions sur Madagascar ?
R.M.E.Z.: Madagascar est un des pays qui possèdent une “mégadiversité”. C’est l’un des hotspots de la biodiversité. La Grande île a soumis une demande à la plateforme du “match-making” dans le but d’avoir un appui pour mettre en œuvre un atelier et avoir une feuille de route spécifique au 30×30. Quand nous avons reçu cette requête, nous les avons connectés avec Rainforest Trust qui était prêt à appuyer cet atelier. Sachant que Madagascar avait besoin d’un appui financier. Ensemble, le ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD), la HAC et Rainforest Trust ont mis en place cet événement. Comme vous le savez, le Fonds pour l’Environnement Mondial (GEF) était aussi présent pour réaliser le Dialogue national. Nous avons profité de ce momentum politique. Le mardi et le mercredi étaient dédiés au Dialogue national du GEF et nous avons tenu l’atelier le jeudi et le vendredi.
Bleen : Où en sommes-nous actuellement par rapport à cet objectif 30×30, aux niveaux mondial et national ?
R.M.E.Z. : Au niveau mondial, moins de 8% des aires marines sont protégées et à peu près 16,3% des aires terrestres. Au niveau de Madagascar, il y a environ 7% des aires terrestres et seulement 0,90% des aires marines qui sont protégées. Il y a beaucoup de travail à faire. Sachant que Madagascar a plus de 5 000 km de côtes. Il y a donc un énorme défi et c’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’investir pour être sûr, qu’au moins on commence les discussions et qu’on avance.
Bleen : Pour vous qui venez du Costa Rica, quels sont les enjeux environnementaux pour le monde et pour les pays du Sud ?
R.M.E.Z. : Je prends spécifiquement cette question par rapport aux aires protégées marines et terrestres. Souvent, on parle de cet objectif en tant qu’objectif quantitatif alors qu’il y a un objectif qualitatif aussi. En fait, les aires les plus importantes pour la biodiversité sont situées dans des pays en développement. Donc, on a souvent des questions émanant de ces pays demandant pourquoi devraient-ils protéger ces aires alors que, eux aussi, ont droit au développement ?
Pour nous, la protection de la biodiversité ne va nullement à l’encontre du développement. Il y a beaucoup d’études qui disent que s’il y a une forte protection des aires marines par exemple, cela va avoir un “spillover effect”. Il y aura une augmentation de la population de poissons et d’autres ressources. Il y aura ainsi une récupération de plus de 500% des populations de poissons. Ce qui constitue un argument par rapport à la nourriture. Mais il y a également un argument par rapport à l’écotourisme. De nombreuses études démontrent que l’écotourisme et les aires protégées aident beaucoup les communautés locales. Avoir une aire protégée dans une partie d’un pays attire énormément les touristes, spécialement le nouveau tourisme.
Le Costa Rica présente un cas très exceptionnel quand il s’agit des questions liées à l’environnement. En effet, au Costa Rica, nous mettons l’environnement au centre de nos politiques. Dans les années 70, il y avait beaucoup de déforestations. Si nous prenons un cas plus proche de Madagascar tel que les Seychelles, il y a beaucoup de collaborations entre le secteur du tourisme et celui de l’environnement. Il y a des exemples de réussites démontrant que les aires protégées marines et terrestres ont beaucoup d’impacts économiques très positifs pour le pays. Et c’est très important.
Comme je l’ai dit au début, certaines personnes pensent qu’en effectuant plus d’actions de protection, elles ralentiront le développement. Alors que c’est tout le contraire, spécialement pour des pays comme Madagascar qui a une biodiversité unique avec plus de 5 000 km de côtes. Votre biodiversité n’est pas que dans la partie terrestre mais aussi dans la partie marine. Vous avez un patrimoine qui n’est pas que pour Madagascar mais pour le monde entier. Je pense qu’il s’agit d’un message très important pour ce pays. Il faudrait vraiment prendre le leadership et être des champions pour la nature. C’est ce que nous faisons. Nous faisons un plaidoyer. Car quand on parle de l’objectif 30×30, ce n’est pas que la partie quantitative, c’est aussi la partie qualitative.
Bleen : Pour vous, que signifie la justice climatique ? Est-ce que c’est une thématique qui vous est chère ?
R.M.E.Z.: Je pense qu’il y a un changement de mentalité qu’on doit opérer. Comme je suis également une personne qui vient du Sud, je pense qu’il faut changer un peu ce discours. Nous devons être fiers de la richesse de notre nature. Il faut mettre notre biodiversité en avant. Il ne faut pas la voir comme un effet négatif, mais plus comme un effet positif. Il ne faut pas systématiquement demander de l’aide mais dire aussi : “nous valorisons notre biodiversité”. Ma vision personnelle est que si nous continuons avec le narratif de toujours demander, nous n’allons jamais arriver à être ambitieux et à avancer un peu plus vite. Bien sûr, nous avons besoin d’aides, mais il faut que nous démontrions par les exemples que nous pouvons nous développer par nous-mêmes.
Je reviens de nouveau sur l’exemple du Costa Rica qui a adopté des mesures de paiement pour les services écosystémiques. Bien sûr, le pays a besoin d’aides et d’appuis techniques mais le gouvernement a également avancé. Et il a pu prendre des mesures au niveau de la politique nationale, comme l’application de taxes qui sont utilisées pour payer les services écosystémiques. Le Costa Rica n’a pas attendu que les pays développés l’aident. Il a mis en œuvre des mesures pour démontrer que le pays est sérieux et qu’il met en avant que la nature n’est pas, pour lui, un secteur isolé. C’est un discours que Madagascar peut adopter.
Bleen : … Donc, il vaut mieux que le pays soit proactif et qu’il mette en œuvre des politiques pertinentes avant de chercher des partenaires internationaux ?
R.M.E.Z. : Il ne s’agit pas seulement d’être proactif mais aussi de prendre des mesures. Il faut que le pays ait ce leadership et qu’il n’attende pas constamment de l’aide venant de quelqu’un d’autre. A la fin, c’est aussi une fierté pour le pays. Valoriser cette fierté implique un engagement au niveau national. Je comprends que pour le cas de Madagascar, il y ait beaucoup de problématiques et d’inégalités. Je pense qu’il y a des petites mesures qui peuvent être mises en œuvre pour que le pays puisse avancer au moins au niveau politique même avec toutes ces problématiques.
Bleen : Ce n’est que ces dernières années que les services écosystémiques ont été valorisés. Pour vous, est-ce qu’ils peuvent entraîner une croissance économique ?
R.M.E.Z. : Bien sûr. En prenant le cas du Costa Rica, je pense qu’il faut considérer la conservation et voir comment on peut mettre en œuvre des activités qui peuvent aider et qui peuvent aussi faire avancer l’économie, au-delà de l’agriculture, de l’élevage, de l’industrie, de l’industrie de pêche….
Bleen : Par rapport à cette question d’industrie justement. Est-ce que la conservation et la préservation de nos ressources, de notre biodiversité et surtout des écosystèmes entravent ce développement industriel pour les pays comme Madagascar qui sont encore très loin en termes d’industrialisation, ou est-ce que les deux peuvent aller ensembles ?
R.M.E.Z. : Je me pose la question : qui profite le plus de l’industrialisation ? Si on parle des communautés locales, je ne pense pas qu’elles en profitent. Une étude de National Geographic a été menée sur 34 pays qui protègent davantage la nature et leur biodiversité, spécialement les aires marines. Elle indique que si les pays protègent vraiment l’environnement, il y aura un effet “spillover” (dans le cas des comportements pro-environnementaux les effets de l’adoption d’une première pratique bénéfique pour l’environnement sur une deuxième pratique, NDLR). Cet effet spillover ne se ressent pas seulement sur les aires marines protégées par exemple, mais aussi sur la population de poissons. Ce ne sera pas seulement l’aire marine qui va profiter des retombées mais elles vont s’étendre au-delà. Tout le monde va en profiter et spécialement les petits pêcheurs. Il faut se poser la question : l’industrialisation sert à qui ?
Bleen : Quels exemples du Costa Rica peuvent inspirer concrètement Madagascar ?
R.M.E.Z. : Je pense que l’écotourisme est l’un des meilleurs exemples. La taxation sur le paiement des services écosystémiques également. Le troisième point est la collaboration régionale. Il y a une excellente collaboration entre le Costa Rica, le Panama, la Colombie et l’Équateur pour créer une aire marine qui se connecte. Les espèces marines peuvent migrer dans des zones sanctuarisées. La nature n’a pas de frontières. Il faut consolider ce genre de collaboration au-delà du niveau national.
Il faut établir des collaborations entre les pays qui ont des réalités un peu plus proches que celles de Madagascar. Je pense qu’en comprenant ce que les autres pays ont fait, on peut avancer beaucoup plus rapidement, au lieu de commencer de zéro et de faire différents tests. Nous n’avons vraiment pas le temps. Je dis toujours que nous avons moins de 6 ans pour arriver à 2030. Nous devons vraiment prendre les expériences des autres pays, spécialement ceux qui ont des réalités similaires. Il faut apprendre de ces pays. Madagascar a une richesse naturelle unique. C’est une base économique à valoriser davantage.