Madagascar est connu pour son capital naturel unique et sa richesse en matière de biodiversité. Le pays est malheureusement aussi célèbre pour d’autres facteurs environnementaux moins luisants comme la vitesse effrénée de la déforestation, les trafics d’espèces sauvages ou encore la surpêche. Entretien avec Directeur Général de l’AFD qui a « la volonté de concilier les enjeux de la protection et de développement économique des communautés locales ».
BLEEN : La biodiversité, le climat et la conservation font parties des axes d’intervention de l’AFD à Madagascar. Pourquoi cet intérêt pour la conservation de la biodiversité de la Grande Île ?
Rémy Rioux (R.R.) : Le monde de la biodiversité évolue. Il ne s’agit plus seulement de parler de conservation. Et c’est très important. Vous savez, il y a eu une très grande conférence des Nations unies il y a maintenant plus d’un an à Montréal qui a dit qu’il faut protéger 30% de la terre et 30% de la mer pour laisser la nature se régénérer.
Mais le travail sur la biodiversité maintenant, c’est aussi les plastiques, et faire en sorte que les filières économiques soient mieux pour le climat et la nature. En ce sens qu’il faut qu’elles soient respectueuses de la nature et fondées sur des solutions naturelles. Le travail sur la biodiversité ne se limite pas seulement aux aires protégées mêmes si celles-ci restent importantes et doivent être financées. Il y a également ces deux aspects, que j’ai évoqués plus haut, à prendre en compte. Aujourd’hui, il y a des initiatives qui ne sont pas que subventionnées via l’argent public. Car on a réussi à entrainer les acteurs du secteur privé dans le domaine.
BLEEN : Selon vous, quels sont les enjeux environnementaux auxquels Madagascar fait/doit faire face ?
R.R. : Il y a un enjeu spécifique à Madagascar car à en croire les scientifiques, il y a 5% de la biodiversité mondiale ici avec 90% des espèces qui sont endémiques. C’est quelque chose d’extrêmement précieux, du point de vue de la nature elle-même. Il y a aussi le fait que 80% de la population malgache vivent des interactions avec la nature. Si l’écosystème s’affaiblit, ce sont les revenus de 80% de la population malgache qui sont également menacés. Au niveau international, à l’AFD, on a beaucoup de publications sur comment financer la nature.
On estime que 5% de la richesse mondiale dépend directement de la survie et de la qualité des écosystèmes. C’est un sujet économique alors qu’on oppose parfois la conservation de la nature à l’économie, à la pauvreté et au développement. En fait, c’est une illusion, les deux vont ensemble. Soit, parce qu’on vit et tire des revenus de la nature, soit parce que la dégradation remet en cause le niveau de vie des populations. Et je pense que cela s’exprime avec une force, une urgence, une richesse et une spécificité très particulière ici, à Madagascar. C’est une façon de vous dire que l’AFD est ici, s’intéresse et investit à Madagascar pour Madagascar. Mais aussi parce qu’il y va de notre intérêt. Sachant que tout cela est un sujet commun comme le climat ou la covid-19. On a compris avec la covid-19 qu’il a fallu s’occuper de nos populations dans chacun des pays. Mais il a aussi fallu coopérer pour les vaccins sinon, on ne s’en serait pas tous sorti s’il fallait se replier chacun de notre côté.
BLEEN : Pour le cas particulier de Madagascar, la dégradation de l’environnement obéit généralement à des logiques économiques. Comment peut-on concilier les interactions des malgaches avec l’environnement sans pour autant renoncer au développement ?
R.R. : Je pense qu’il faut vraiment appuyer les acteurs. Il faut des preuves que la réconciliation entre le développement et l’environnement est finalement possible. Ce qui était réjouissant durant la conférence sur la biodiversité et le développement qui s’est tenue à l’Université d’Antananarivo le vendredi 1er mars. Il faut multiplier les preuves que c’est possible. Après, il faut une politique publique. Faire en sorte qu’à un moment, toutes les preuves se transforment en orientation fixées par le gouvernement. Et cela n’est pas toujours facile parce qu’il y a des gens qui ont intérêt dans le système actuel. Il faut les bouger, inventer de nouveaux équilibres qui sont plus favorables.
On était très heureux de cette conférence. Le nouveau ministre vient lui-même du secteur privé et de la société civile. On a vu qu’il y avait de la confiance entre eux. Maintenant, il faut que cela aide à ce que le pays ait une trajectoire de développement et de développement durable en même temps. Plus ambitieuse sans doute mais il faut qu’on montre que c’est possible, que ce n’est pas seulement une injonction internationale mais que c’est le pays lui-même qui le fait. Le pays est en risque. Vous avez raison, les rythmes de déforestation sont rapides. Il faut éviter d’être dans une spirale négative. Il faut trouver un chemin positif.
BLEEN : Si vous avez des recommandations à émettre pour Madagascar, quelles seraient-elles ?
R.R. Je pense que je serais très immodeste en ne venant que deux jours et demi à Madagascar et de faire des recommandations à vous, à ceux qui savent et qui font. Ma visite est d’abord une marque de respect, une marque d’attention et d’amitié. Et puis, c’était également une opportunité de repérer des gens qui ont des solutions, des solutions malgaches qui nous intéressent et qui sont innovantes. C’est intéressant de voir de l’impact et de la qualité. Il y a des solutions qui naissent et c’est quelque chose qu’on peut faire ailleurs en fait.