Le PDG du Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) a effectué à Madagascar une mission qui rentre dans le cadre du huitième cycle de programmation du Fonds qui coïncide également avec la tenue de son dialogue national dans la Grande île. En marge de cet évènement, il nous a accordé une interview.
Bleen : Pouvez-vous nous dépeindre brièvement le bilan de ces 30 années de collaboration entre Madagascar et le FEM ?
Carlos Manuel Rodríguez (C.M.R.) : LeFEM a réalisé beaucoup de choses durant ces 30 années de collaboration. Mais nous devons être très francs : nous n’avons pas été en mesure de «faire bouger l’aiguille» en termes de durabilité. Et cela est dû à de nombreux défis. L’un d’entre eux est que les pays investissent encore davantage de ressources dans des activités qui détruisent la nature et qui contribuent au changement climatique qu’ils n’en investissent dans la protection de la nature.
Nous pensons donc que, si nous sommes en mesure de travailler et de collaborer régulièrement avec les ministères de l’environnement, de l’agriculture, de l’énergie, des finances etc., nous ferons beaucoup mieux. Et ce n’est pas une hypothèse. Cela a été prouvé dans de nombreux autres endroits. Nous essayons de faire une approche gouvernementale globale. C’est une idée qui a vu le jour au sein du FEM, mais elle est désormais une matrice. Lors des COP et des réunions ministérielles, on entend de plus en plus parler de cela. Le FEM estime donc qu’il est à la pointe du progrès dans ce domaine. Oui, bien sûr, nous avons de multiples défis à relever pour changer le business modèle du FEM.
Bleen : Vous avez été ministre de l’Environnement et de l’Energie au Costa Rica. A Madagascar, l’accès à l’énergie constitue encore un grand défi. Auriez-vous des conseils à donner sur la manière de surmonter cette problématique, partir de cette transition et aller vers le renouvelable ?
C.M.R. : Aujourd’hui, j’ai été rejoint par trois ministres, le ministre de l’Environnement (et du Développement Durable), le ministre de la Pêche (et de l’Economie Bleue) et le ministre de l’Energie (et des Hydrocarbures). Au Costa Rica, il n’y en a qu’un. Une seule personne est le ministre de l’énergie et des mines, des ressources naturelles, des océans et de l’eau. Nous ne faisons pas de distinction entre les ressources naturelles renouvelables et non renouvelables. Plus il y a de personnes autour de la table pour réfléchir et planifier, plus c’est complexe. Nous avons donc appris au Costa Rica que le fait de rassembler les ministères sous une même coupe peut vraiment nous aider.
Les faits sont là. L’électricité y est aujourd’hui 100 % renouvelable. Lorsque nous avons créé le ministère de l’énergie et de l’environnement en 1986, 60 % de notre électricité était d’origine renouvelable et 40 % provenait de combustibles fossiles. Mais lorsque nous avons associé les spécialistes de l’énergie avec les spécialistes de l’environnement et que nous les avons obligés à réfléchir et à planifier ensemble, nous avons obtenu ce résultat 30 ans plus tard. Nous disposons d’une énergie renouvelable à 100 %.
Avec la nature, c’est exactement la même chose. Nous avons encore des problèmes avec la combinaison environnement-énergie. Je ne dirai pas que c’est une recette qui marche à tous les coups ni que vous deviez fusionner ces trois ministères. Mais je tiens à souligner que le fait d’avoir plusieurs ministères avec de multiples responsabilités dans la gestion des ressources naturelles est déjà un grand défi en soi. Les pays doivent prendre en compte le fait que toutes les institutions doivent changer et que ce changement doit être basé sur l’aspiration à la durabilité.
« Le fait d’avoir plusieurs ministères avec de multiples responsabilités dans la gestion des ressources naturelles est un grand défi en soi »
— Carlos Manuel Rodríguez, PDG du Fonds pour l’Environnement Mondial
Bleen : Vous avez également réussi à doubler la superficie forestière du Costa Rica quand vous étiez ministre. Quelles leçons Madagascar peut-il tirer de ce succès de votre pays, sachant qu’il ambitionne de retrouver son appellation d’« île verte »?
C.M.R. : Nous n’avons jamais eu les ressources nécessaires pour doubler la taille de nos forêts. Ce que nous avions, c’étaient un rêve et un engagement. Et au Costa Rica, il y a une grande stabilité politique. C’est-à-dire que lorsqu’un gouvernement se termine et qu’un nouveau arrive, ce dernier continue les chantiers du précédent. C’est une règle de base. Et c’est l’un des plus grands défis que nous ayons eu à relever au FEM. Nous avons commencé à travailler avec le gouvernement et nous avons établi des priorités. Le gouvernement change, un nouveau parti, un nouveau ministre, une nouvelle personne arrivent et ils ne veulent rien savoir de ce que faisait le précédent. Puis ils nous reprochent les actions que nous avons initiées. C’est donc un gros problème.
Le gouvernement et la société doivent avoir un contrat social et se mettre d’accord sur les grandes décisions. Nous n’avons jamais eu d’argent, nous avons eu des conditions propices au changement. Les ministres, les sociétés civiles et d’autres acteurs travaillent sur la base de cette stabilité politique. Le ministère de l’environnement recense environ 3 000 agents au Costa Rica. Lorsque le gouvernement change, seules trois personnes changent : le ministre, le vice-ministre et le directeur général. Le reste du personnel reste en place. C’est un élément de base.
Le deuxième élément est que nous utilisons les ressources du FEM pour faire en sorte que les modèles qui fonctionnent soient transformés en politiques. Nous sommes donc allés au Congrès et avons adopté de nouvelles lois et politiques. La façon dont nous avons pu doubler la taille de la forêt a consisté à s’attaquer d’abord aux principaux facteurs incitatifs. En effet, il y a beaucoup d’incitations qui favorisent la déforestation et il fallait les supprimer.
Ce n’est pas facile parce qu’il s’agit de subventions ou d’incitations qui permettent à quelqu’un de gagner de l’argent. Et c’est complexe. Nous devions nous adresser à un congrès national. Ensuite, avec le paiement des services environnementaux, les personnes qui conservent les forêts seront indemnisées pour le carbone, la biodiversité et l’eau qu’elles produisent. Qui paiera pour cela ? Les bénéficiaires. Si vous vivez au Costa Rica et que vous utilisez votre voiture, vous payez une taxe supplémentaire pour le carburant, car les émissions que vous produisez seront compensées par le propriétaire d’une forêt.
Ainsi, lorsque vous apportez ce type d’incitations positives, vous n’avez pas besoin de couper les forêts. Il ne s’agit plus d’idées novatrices, de nombreux pays le font depuis 20 ans. Il s’agit donc d’un peu d’accords politiques. C’est le fond du problème. Il en va de même pour l’énergie. En fin de compte, la transition dans le secteur de l’énergie a été réalisée au Costa Rica non pas parce que le FEM avait suffisamment d’argent. Le FEM a mis un peu d’argent pour catalyser les processus et le pays a compris la voie à suivre vers les énergies renouvelables.
Bleen : Combien de temps a-t-il fallu pour obtenir ces résultats ?
C.M.R. : Qui s’en soucie ? Cela prend du temps, mais il faut investir dans ces conditions favorables. Je parlais de la nécessité d’investir le FEM dans la jeunesse, parce que je pense que la jeune génération – les moins de 30 ans – est vraiment préoccupée par son avenir. Elle est furieuse contre ma génération/notre génération, laquelle est à l’origine des problématiques environnementales. Le FEM doit être une source de financement pour le changement en politique et dans le secteur privé. C’est ce que nous cherchons à faire. Cela prend du temps, mais les bénéfices sont considérables.