Andriamparany Thierry Pradel : « On soutient les pêcheurs dans la conservation pour que leurs activités bénéficient aux générations futures »

A travers cette interview, Andriamparany Thierry Pradel nous explique à quel point la pêche est tributaire de la conservation. Une situation qui se reflète dans le niveau de production.

A Antafiampatsa-Irodo, dans l’Aire marine protégée Corridor Marin des 7 Baies, nous avons croisé, en Avril dernier, les équipes de Sahanala Pêche en pleine préparation de l’ouverture de la saison de collecte des poulpes. Cette société fait partie des grands collecteurs de produits halieutiques de la zone et est une promotrice de la pêche durable. Andriamparany Thierry Pradel (ATP), Coordonnateur de projet Pêche au sein de la société a accepté de nous en dire plus sur leurs activités.

Interview.

Bleen : Nous sommes actuellement à Irodo, au niveau du Corridor Marin des 7 Baies où vous collaborez avec les pêcheurs et les gestionnaires d’aires protégées dans le cadre de la pêche durable. Est-ce la seule zone où vous œuvrez ?

ATP : Nous opérons sur 4 zones, 2 dans la région DIANA et 2 dans la région SAVA. Ici dans la DIANA, nous travaillons avec les pêcheurs de l’aire marine protégée de Nosy Hara qui est gérée par Madagascar National Parks ou MNP. Et ici, dans le Corridor Marin des 7 Baies, qui est gérée par la Conservation Internationale.

Dans la SAVA, nous œuvrons dans la zone Loky Manambato, gérée par Fanamby et dans le Cap Est qui est géré par la Wildlife Conservation Society ou WCS.

Bleen : Pourquoi vos exploitations ne se font-elles que dans des zones de conservation ?

ATP : Nous avons opté pour ces zones de conservation car nous anticipons déjà l’avenir des pêcheurs. Sahanala est parmi les premières sociétés à promouvoir cette pêche durable et responsable. Nous collaborons donc avec les pêcheurs qui travaillent dans ces aires protégées. Nous nous proposons ensuite de rechercher des débouchés où écouler ces produits. C’est-à-dire que c’est la société qui fait en sorte d’acheminer les produits depuis les pêcheurs locaux jusqu’aux clients. C’est pour dire que Sahanala Pêche n’existe que pour rehausser le niveau de vie des pêcheurs.

Bleen : Pourriez-vous nous dire qui sont alors vos clients finaux, où envoyez-vous ces produits ?

ATP : Le circuit est comme suit : les produits partent des pêcheurs locaux, passent par l’usine de Sahanala à Vohémar avant d’être acheminés vers nos clients finaux qui se trouvent notamment en Europe. C’est principalement Gel Pêche qui achète les produits en question.

Bleen : Quels sont les différents types de produits que vous exploitez au niveau de Sahanala Pêche ?

ATP : Nous avons déjà commencé à exploiter les poulpes l’année dernière et nous continuerons pour cette année 2024. S’y ajouterons les calmars, les poissons et les langoustes.

Bleen : Quels sont les produits phares, en termes de ressources halieutiques, dans cette zone du Corridor Marin des 7 Baies ?

ATP : Nous avons surtout les poulpes car il y a le principe de conservation de ces espèces qui est assimilé. Mais il y a également les langoustes, car ce sont aussi des espèces préservées dans cette zone. Par contre, du fait de l’absence de débouchés, les calmars n’ont pas pu être valorisés. Mais là, nous allons commencer à les écouler sur le marché.

Bleen : Cela fait maintenant combien d’années que vous exploitez dans la zone ?

ATP : On a commencé l’année dernière (2023). Et on s’inscrit dans la durabilité. Sahanala n’est pas là que pour exploiter les ressources de la mer. Sahanala est là pour durer. On travaille avec les pêcheurs et on les soutient dans cette conservation pour que leurs activités de pêche dans cette aire marine protégée soit durables et bénéficient aux générations futures.

Bleen : Pouvez-vous nous donner des chiffres quant à la production de 2023, ainsi que vos objectifs pour cette année 2024 ?

ATP : L’année dernière, nous avons récolté aux alentours de 55 tonnes de poulpes. On peut dire qu’il s’agissait d’une phase test pour voir comment nous travaillons et comment on devrait collaborer avec les pêcheurs locaux. Mais cette année, nous envisageons d’augmenter cette production. Nous prévoyons de collecter dans les 350 tonnes de poulpes. Mais ce, dans toutes nos zones d’intervention et non seulement dans ce corridor. On ne peut pas concentrer autant de production sur une seule zone car cela porterait atteinte aux efforts de conservation. Et donc, cet objectif est relatif à toutes les zones que j’ai citées plus tôt. Entre autres, Nosy Hara, cette zone CM7Baies, Loky-Manambato, et Cap-Est mais également Vinany Vao.

Bleen : Combien de pêcheurs travaillent avec vous dans cette zone des 7 Baies ?

ATP : Actuellement, nous travaillons avec près de 400 pêcheurs. Mais nous en ciblons 1000. En effet, après recensement, leur nombre pourrait facilement atteindre les 1000. Cependant, certains pêcheurs ne sont uniquement que des pratiquants. Ils n’intègrent pas les associations. C’est pourquoi aujourd’hui, avec la Conservation Internationale, nous sensibilisons ces pêcheurs-là à intégrer des associations afin qu’ils puissent bénéficier d’une carte professionnelle de pêcheur et des droits y afférents.

Bleen : Justement, vous avez dit que vous apportez des soutiens aux pêcheurs dans le cadre de cette promotion de la pêche durable. Pouvez-vous nous dire quels sont ces soutiens?

ATP : Nous apportons deux types de soutiens aux pêcheurs. Il y a la formation. On les forme afin qu’ils puissent savoir quel est l’avenir de la pêche. Nous nous sommes fixés un objectif de leur fournir 32 formations. Et aujourd’hui, on en a réalisé 24. Le projet Kobaby nous soutient dans ce programme de formation des pêcheurs. Outre ces formations en conservation avec CI, Kobaby, et AFD, Sahanala vient également leur fournir des soutiens matériels. On leur a par exemple fourni des godasses, des tsora-by. L’année dernière, on en a distribué, mais à un nombre très limité de pêcheurs. Et cette année, on a élargi le nombre de bénéficiaires.

Fait également partie du soutien de Sahanala la collecte de leurs produits. Et ce, au prix du marché. De plus, c’est la société même qui se charge de la conservation des produits. De même pour les embarcations, les pêcheurs n’ont pas à les louer pour aller pêcher dans les zones éloignées. Nous les leur fournissons.

Notre objectif est certes de vendre mais en faisant des bénéfices partagés. C’est ce qui nous différencie des autres. Le principe est que quand la société arrive à vendre le produit, elle rend une partie des bénéfices aux pêcheurs. Il y a des calculs effectués pour ressortir le montant de ces bénéfices, et 50% de ceux-ci iront aux pêcheurs. Aussi, si un pêcheur a vendu 100 kg de poulpes cette saison, une fois les bénéfices retournés au niveau local, il aura une part équivalent à ces 100 kg.

20% de ces bénéfices iront au gestionnaire de l’aire protégée. Pour le CM7 Baies, cela ira donc à CI. Et 20% iront à l’association car c’est auprès des associations que nous achetons les produits. Et les 10% iront à la fédération. C’est-à-dire la fédération de la pêche de Sahanala. En effet, dans l’organigramme de Sahanala Pêche, il y a cette fédération où sont regroupées plusieurs associations de pêcheurs. En fait, c’est une « fédération » de pêcheurs qui a fait que Sahanala pêche existe aujourd’hui. Mais les techniciens ne font que déployer leurs ressources pour trouver des débouchés pour les produits. C’est donc ce qui fait Sahanala Pêche. Ce sont des pêcheurs qui se sont fédérés et qui ont demandé à Sahanala et ses techniciens de faire de ce rêve une réalité.

Bleen : Si nous comprenons bien, il n’y aucun bénéfice qui va à Sahanala ?

ATP : Si, Sahanala, en tant que société commerciale, vend ces produits. Donc en vendant, elle fait des bénéfices. Et ce sont ces bénéfices qu’elle répartit entre les différentes parties prenantes à la chaîne.

Bleen : Vous avez fait un test pendant un an. Là, vous entrez vraiment dans la phase d’exploitation. Compte tenu de vos objectifs en termes de production, comment voyez-vous l’évolution de la reproduction des espèces, notamment dans ce Corridor Marin des 7 Baies ? Est-ce que l’on s’inscrit vraiment dans la durabilité ?

ATP: Bien évidemment, il y a eu des études préalables qui nous ont permis de mettre en place ces unités de production. Notamment des analyses émanant des pêcheurs qu’on appelle capture par effort de pêche. En effet, depuis 2016, nous faisons ces études tous les jours, tous les mois et tous les ans. Et c’est ce qui nous a permis de déduire la quantité de produit que nous pouvons obtenir dans la zone. Cependant, ce résultat est tributaire de la conservation. Il faut que ça soit régulé, qu’il y ait des périodes de clôture. Par exemple, pour la pêche aux poulpes, il y a deux clôtures par an. C’est fermé du 1er janvier au 30 mars, et du 1er juin au 30 juillet. Grâce à cela, une journée d’ouverture dans cette zone des 7 Baies permet d’obtenir 30 tonnes de poulpes. Ce qu’on se répartit entre 4 sociétés.

Il y a donc concurrence entre sociétés. Et c’est ce qui améliore le niveau de vie des pêcheurs. En effet, auparavant, les collecteurs prenaient les poulpes à 3000 Ar – 5000 Ar le kilo. Et depuis notre arrivée, c’est monté à 10 000 Ar.

Maintenant, comment pensons-nous que cela pourrait durer ? Cela va durer car nous travaillons avec Conservation International, la Direction régionale de la pêche et de l’économie bleue ainsi que toutes les autres parties prenantes, pour faire en sorte que cette pêche soit durable.

Bleen : Ce partage de bénéfice a-t-il été appliqué depuis l’année dernière ?

ATP: Là, on est en plein dans la commercialisation. Donc ce sera appliqué cette année. Les pêcheurs attendent déjà la mise en œuvre de ce partage et ce sera fait cette année.

Bleen : Vos projections en termes de production sont-elles basées sur ces évaluations quotidiennes ?

ATP: En effet, c’est à partir de ces calculs des efforts de pêche que nous pouvons projeter de produire 350 tonnes cette année. Et nous analysons ces prises chaque fin d’année pour pouvoir établir notre business plan pour l’année suivante. On ne peut pas directement dire qu’on va faire 500 tonnes en 2025. Il nous faut nous baser sur les captures. De plus, la capacité de notre usine à Vohémar, tous produits confondus, est de 1000 tonnes par an. C’est une usine qui tourne toute l’année.

Karina Zarazafy

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