Interview de Nirina Olivier Rakotoson, président du GEHEM : « Les règlementations en vigueur ne sont pas adaptées à l’essor de la filière huiles essentielles »

La richesse en biodiversité de Madagascar constitue son atout en matière de production et d’exportation d’extraits et d’huiles essentielles.

En 2018, les 4 867 000 tonnes de produits exportés ont contribué à hauteur de 83 millions de dollars dans l’économie malgache. Ces chiffres ne représenteraient pourtant qu’une infime partie de la demande et de l’offre mondiales. Ce, malgré les potentiels de la Grande Île. Le président du Groupement des Exportateurs d’Huiles essentielles, Extraits et oléorésines de Madagascar (GEHEM), un groupement d’intérêts économiques, revient pour Bleen sur les enjeux de la filière huiles essentielles, les perspectives et les défis.

Bleen : Selon les opérateurs, la filière pourrait constituer un levier de développement pour Madagascar. Où en est la situation actuellement ?

Nirina Olivier Rakotoson (N.O.R.) : Avant de répondre à cette question, je voudrais me permettre de donner un contexte global des huiles essentielles et le monde entrepreneurial qui tourne autour. Les huiles essentielles sont des produits obtenus par l’extraction des plantes (graines, écorces, feuilles, fleurs).

La filière joue un rôle essentiel dans l’économie malgache en créant diverses chaînes de valeurs. Les huiles essentielles créent de l’emploi, permettent le renforcement des richesses techniques et des compétences, sans oublier la valorisation des produits malgaches. Les huiles essentielles, extraits et oléorésines constituent des pourvoyeurs de devises pour Madagascar. En 2021 par exemple, la filière a fait rentrer près de 85 millions de dollars de devises, ce qui équivaudrait à à peu près 380 milliards d’ariary avec près de 4 millions de tonnes exportées.

Du côté quantité de produits exportés, l’on observe une certaine hausse par rapport aux statistiques de 2020. Tandis qu’en termes de devises, la tendance est à la baisse. En effet, cette année, la filière a fait rentrer 101 millions de dollars dans l’économie nationale. Ces dix dernières années, le tonnage des produits exportés a suivi une tendance haussière. Ce qui n’est pas le cas des chiffres d’affaires générés par la filière lesquels qui ont chuté. Diverses raisons peuvent expliquer cette situation. Il y a eu la pandémie liée à la Covid-19. S’ensuivit la crise mondiale relative à la guerre qui oppose la Russie et l’Ukraine qui impacte de façon conséquente sur les exportations d’huiles essentielles avec les problèmes d’inflations observés en Europe. Sinon, il y a également les défis liés aux échanges, les inflations, la fluctuation des prix à l’exportation…

Pouvez-vous nous dire à combien se chiffre le marché mondial ? Madagascar est-il compétitif ? 

N.O.R. : Au niveau mondial, les huiles essentielles représentaient un chiffre d’affaires qui tournait autour de 11 à 12 milliards de dollars. Avec ses 100 millions de dollars, Madagascar ne pèse pas grand-chose. On représente à peine 0,0090 % du marché pour le moment. On dispose pourtant de grandes potentialités qu’il faut exploiter afin de changer la donne.

Car oui, la filière huiles essentielles constitue un des leviers du développement de Madagascar. Je voudrais profiter de l’occasion pour rappeler qu’il y a eu une explosion de la filière ces dix dernières années. Si l’on prend les statistiques entre 2011 et 2020, l’on peut facilement observer que les chiffres d’affaires de la filière sont allés de 23 à plus de 100 millions de dollars.

On dit que Madagascar a encore beaucoup de potentialités en la matière. Qu’en est-il vraiment ? Quels sont les défis et les risques ?

N.O.R. : L’atout de Madagascar est sa biodiversité. Notre faiblesse, quant à elle, est notre manque de notoriété. En conséquence, les clients dictent les prix d’achat à Madagascar. À cela s’ajoute le manque de professionnalisme des Malgaches dans les affaires. Ce qui est un défi de taille dans la mesure où les acteurs de la filière huiles essentielles sont majoritairement informels.

Sur ce chapitre du manque de professionnalisme, l’on peut parler du niveau de certains acteurs comme les producteurs. Certains de voient pas loin ce qui fait qu’il est difficile de stabiliser les prix, la qualité et la quantité des produits. Au lieu de mettre en place ces structures de stabilisation, certains préfèrent spéculer. Entreprendre dans les huiles essentielles ne requiert pas un niveau exceptionnel de compétence et de connaissance parce que vous savez, tout le monde peut distiller. Il suffit d’avoir un alambic.

Par contre, investir dans le marché demande un minimum de stratégie. C’est là que nous sommes bloqués. On n’anticipe pas, on ne se projette pas faute de connaissance stratégique et l’on subit la loi du marché. C’est là que le GEHEM entre en jeu. L’objectif est de développer et de promouvoir la filière.

Quid de la réglementation de la filière ?

N.O.R. : Les lois existantes n’ont pas anticipé la croissance fulgurante de la filière huiles essentielles. Les règlementations ne sont pas adaptées. La lourdeur administrative s’est accrue. Pour vous expliquer la situation, les huiles essentielles sont considérées par ces règlementations comme étant des produits forestiers.

Pour nous, opérateurs dans le domaine, un produit forestier est un « produit sauvage ». Les lois en vigueur régissent les produits forestiers et imposent des mesures de protection et d’exploitation rationnelle de l’environnement. Actuellement, les huiles essentielles devraient être assimilés à des « produits domestiqués  ». Près de 80% des produits sont issus de la culture, soit des producteurs, soit des exportateurs eux-mêmes ou quiconque Malgaches qui cultivent les matières premières. Les lois actuelles devraient donc être basées sur ces types de produits.  

La lourdeur administrative ne facilite pas l’exploitation. Les acteurs font face à plusieurs obstacles, voire des sanctions. Les multitudes d’impôts et de taxes, des champs de culture à l’exportation, viennent compléter les lots de difficultés et d’entraves imposés aux opérateurs et exportateurs d’huiles essentielles. En somme, je pense que l’on devrait penser à mettre en place et en œuvre une politique globale de facilitation de l’entrepreneuriat à Madagascar. Et je ne parle pas seulement de la filière huiles essentielles, je parle de l’entrepreneuriat en général. Il n’y a pas un climat des affaires favorable aux investissements à Madagascar. Si l’on veut développer les secteurs et filières, il faut commencer par alléger et rendre claire les règlementations.

José Belalahy

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