bleenmada.com (Bleen) : Comment a-t-on pu redécouvrir le Dusky Tetraka ? Avez-vous mené des recherches spécialement sur cette espèce ou est-ce dû au hasard ?
Pr Rene de Roland (Pr RdR) : La dernière observation de cette espèce remonte à 1999. Des recherches ont été menées des années après, mais personne n’a pu redécouvrir l’espèce. Scientifiquement, si une espèce de faune ou de flore n’est pas observée pendant vingt-cinq ans elle est considérée comme éteinte.
Cette extinction d’espèce est une honte pour un pays parce que cela veut dire qu’on n’a pas attribué une grande importance à la conservation. La redécouverte du Dusky Tetraka n’est pas le fruit du hasard. L’American Bird Conservacy a lancé un appel à financement pour des recherches sur des oiseaux, au mois de juin 2022. Cet organisme a également dressé une liste de dix oiseaux qui n’ont pas été observés pendant au moins dix ans. Une espèce malgache figurait dans la liste et c’est le Dusky Tetraka.
En tant qu’ornithologue malgache et directeur national auprès de The Peregrine Fund, je me suis dit que c’était une opportunité de démontrer que l’espèce n’est pas encore éteinte. Mais que ce sont les recherches qui ont toujours manqué. J’ai eu l’intime conviction que cet oiseau rare existait toujours quelque part dans la Grande Île. Notre organisme a donc naturellement répondu à l’appel et depuis le mois de septembre 2022, le projet The Peregrine Fund a obtenu un financement de la part de l’American Bird Conservancy pour effectuer des recherches sur cette espèce. Les expéditions ont commencé le mois de septembre 2022.
Nous nous sommes servis des données et des coordonnées recueillies lors des recherches antérieures pour le choix des sites. Les fouilles ont commencé à Mantadia dans le district de Moramanga. Nos efforts ont été récompensés le 2 janvier 2023, lorsqu’on a aperçu un Dusky Tetraka du côté d’Andapa, plus précisément dans le corridor entre le parc National de Marojejy et la réserve spéciale d’Anjanaharibe Sud, dans la partie nord Est du pays.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cet oiseau, sa place dans l’écosystème, ses particularités et quid de son habitat ?
Pr RdR: Le Dusky Tetraka est une espèce strictement forestière. Elle est observée à moins de 1000 mètres d’altitude. Son observation est rare et particulièrement difficile. Jusqu’à présent, aucune information n’est disponible dans la science sur sa biologie et son écologie. Durant notre expédition, nous avons tout de même pu obtenir quelques informations.
L’on peut citer le micro-habitat dans lequel on a découvert l’individu que l’on a étudié. Celui-ci semble préférer les zones situées près des rivières. Il est encore trop tôt pour dire que le micro-habitat observé à Andapa est vraiment l’habitat naturel du Dusky Tetraka. Tout comme il est encore trop tôt pour avancer ses particularités. Pour le moment, nous ne disposons que de son cri et les comportements obtenus par observation après que nous ayons relâché l’individu capturé. Et du côté de son comportement, le Dusky Tetraka est plus un oiseau sauteur.
Les données biologiques sur la ou les périodes de reproduction, le nombre d’œufs par couvée ou encore l’effectif de cette espèce sont encore indisponibles à l’heure actuelle. La redécouverte de cette espèce est un nouveau départ pour les recherches.
Après cette redécouverte du Dusky Tetraka, quelle serait la suite de l’aventure ?
Pr RdR : Nous projetons de mener une nouvelle expédition à partir du mois de septembre ou octobre 2023. Cela coïncidera avec la période de reproduction des oiseaux forestiers, cette descente devrait permettre d’obtenir de plus amples informations sur le Dusky Tetraka.
Nous voudrons revenir là où nous l’y avons observé pour y effectuer quelques autres captures. Nous pensons également recourir à l’utilisation de puces électroniques afin d’en connaître un peu plus sur l’habitat, le territoire, le comportement, etc du Dusky Tetraka. C’est seulement à partir de là que nous pourrions obtenir des données biologiques sur cet animal qui devraient ensuite permettre de tirer des conclusions sur ses caractéristiques ainsi que sur les techniques de conservation. Nous planifions également de mener des recherches dans d’autres zones.
Les notions dont on dispose sur le micro-habitat où l’on a redécouvert le Dusky Tetraka devraient nous permettre d’approfondir nos recherches. S’il s’avère que l’oiseau préfère le même micro-habitat dans ces autres zones, l’on pourra en déduire que c’est effectivement le type d’habitat où l’espèce vit.
En quoi cette découverte est-elle particulière pour Madagascar et pour la localité où l’espèce réside?
Pr RdR : Cet oiseau est une espèce endémique de Madagascar, sa disparition serait une honte réelle pour le pays. Si une espèce est classifiée « éteinte », cela signifie qu’elle a été insuffisamment protégée ; et surtout, c’est la preuve irréfutable de la non-considération de la place de la recherche sur la biodiversité malgache. La redécouverte du Dusky Tetraka, a démontré que malgré les difficultés, les chercheurs malgaches sont actifs et que le travail a porté ses fruits.
La conservation des espèces conduit à la préservation de leur habitat naturel. Mais pour pouvoir préserver la biodiversité et l’habitat naturel, les hommes qui y vivent devraient être considérés primordialement. Les résultats issus de nos recherches ont attiré beaucoup de partenaires techniques et financiers qui sont plus enclins à financer des activités visant à réduire les impacts anthropiques sur les ressources naturelles. Ainsi, des appuis agricoles, scolaires, sanitaires, etc. ont pu être effectués auprès de la population.
Quels sont les enjeux de la protection de l’environnement et des écosystèmes, outre le développement et la promotion du secteur du tourisme ?
Pr RdR : Le service écosystémique est aussi un des impacts positifs de la recherche sur le développement de la communauté. Par exemple, dans la région Melaky, un lac à Antsalova, géré par le projet The Peregrine Fund, est une source économique inestimable. Elle produit annuellement plus de 400 tonnes de poissons qui sont valorisés à des milliards d’ariary.
Dans l’aire protégée de Bemanevika, gérée par le projet The Peregrine Fund également, dans le district de Bealanana, région de la Sofia, la protection de la source dans le site a permis d’irriguer plus de 10 000 ha de rizières pouvant produire jusqu’à 40 000 tonnes de riz annuellement. Les redécouvertes des espèces, grâce aux recherches, ont mené à la protection du milieu et au développement de la communauté locale.
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