Grand reportage – Comment le changement climatique favorise le paludisme

Le paludisme tue encore. Malgré les avancées de la science et les traitements efficaces, cette maladie est encore l'une des plus meurtrières à Madagascar. Le changement climatique risque d'influer grandement sur la lutte qui doit être menée contre ce fléau.

Le petit Christian a les yeux livides, témoins d’un intense combat mené contre la maladie. A 12 ans, il est chétif. Il tremble un tout petit peu, par moment. Il doit dormir à même le sol de ce Centre de santé de base (CSB) II d’Analaiva à défaut de lit. Cette localité est à une vingtaine de kilomètres de Morondava, le chef-lieu de région du Menabe.

Son père semble être rassuré par la présence des « radoko » (docteur en malgache), ces professionnels de la santé quasiment exclusivement féminins qui œuvrent dans l’établissement. Ces dernières sont aussi rassurantes que professionnelles. Le Test de Diagnostic Rapide (TDR) du petit Christian est positif. Il a contracté le paludisme. Le TDR comme les autres soins seront gratuits.

Le petit garçon a eu de la chance. Ses parents ont été attentifs et dès les premiers signes, le père l’a emmené au CSB II. Il faut dire que le paludisme peut entraîner la mort de manière foudroyante, surtout pour les catégories de personnes les plus fragiles comme les enfants et les femmes enceintes. Il y a encore un mois, un enfant a succombé à cette maladie dans la région du Menabe.

Ravaoarisoa (à g.) et Roselle Bavelle (à dr.), deux agents communautaires en première ligne dans la lutte contre la paludisme au sein de la communauté, à Analaiva (© Bleen/Raoto Andriamanambe)

Zones à haut risque

Il faut dire que la région est l’un des foyers épidémiques du paludisme. « Le Menabe rencontre des difficultés dans la lutte contre la maladie. C’est bien souvent l’hésitation qui mène au décès », a expliqué le gouverneur de la région lors de la célébration de la Journée mondiale de la lutte contre le paludisme, le 17 mai 2024, dans la commune rurale de Bemanonga, Morondava. « Le paludisme est un ennemi tenace de la santé publique », renchérit le représentant résident de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Madagascar, Dr. Laurent Musango.

Avec les régions Vatovavy, Fitovinany, Atsimo Andrefana, le Menabe est une zone rouge du paludisme dans la Grande île. Depuis quelques semaines, les cas ont explosé, comme le montre un graphique apposé sur un pan du mur du bureau du Dr. Bakoly Sahondra Rasoarahona dans le CSB II d’Analaiva. Comparativement à la « normale de saison », le nombre de cas a explosé cette année. « Il y a eu 133 cas, il y a deux semaines, puis 239 cas la semaine dernière. Comme vous le voyez, les écarts sont de plus en plus grands entre ce que les chiffres doivent être et la réalité », indique la responsable planning familial au sein du CSB d’Analaiva, qui est également en première ligne dans la lutte contre cette maladie. Les professionnels de santé sont très attentifs.

Les stocks de médicament sont tenus à jour, aucune rupture ne doit survenir. Car Menabe est la troisième région la plus touchée par le paludisme à Madagascar. « On le rappelle constamment, le paludisme peut tuer », explique la maire de la commune rurale de Bemanonga, Gloria Lovamanitra.

Un petit garçon atteint du paludisme dans le CSB II d’Analaiva, un moustiquaire imprégné d’insecticide de démonstration dans la cour du CSB II de Bemanonga Bleen/Raoto Andriamanambe)

Le paludisme continue à tuer à Madagascar et ailleurs. Le Rapport sur le paludisme dans le monde 2023 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2023, avait dressé un tableau alarmant de la lutte contre cette maladie. À l’échelle mondiale, le nombre de cas de paludisme en 2022 était nettement plus élevé qu’avant la pandémie de 2019 : entre 2000 et 2019, le nombre de cas de paludisme avait chuté de 243 millions à 233 millions. En 2020, 11 millions de cas supplémentaires ont été signalés, sans changement apparent en 2021, suivis d’une augmentation de cinq millions de cas en 2022, portant le total à près de 249 millions de cas. « Le nombre de décès liés au paludisme en 2022 a également dépassé le niveau prépandémique de 2019 », souligne le document.

Cas

« La lutte contre le paludisme est importante pour le développement socio-économique de Madagascar », rappelle Michele Russell, Directrice Générale de l’USAID à Madagascar, l’Agence des États-Unis pour le développement international. Pour contrer la maladie, à l’échelle mondiale une plateforme ambitieuse a été créée. Le Partenariat RBM coordonne les actions à l’échelle mondiale contre le paludisme. Il mobilise les efforts et les ressources et forge un consensus entre les partenaires. Le Partenariat regroupe plus de 500 partenaires, dont les pays impaludés, comme Madagascar, leurs partenaires au développement bilatéraux et multilatéraux, le secteur privé, des organisations non gouvernementales et communautaires, des fondations et des institutions du monde universitaire et de la recherche. La Grande île profite de cette dynamique mondiale pour tenter de juguler cette maladie.

Une statue dans la cour du CSB II de Bemanonga (à g.), gestion intégrée des vecteurs (à dr.) : débroussaillage et nettoyage Bleen/Raoto Andriamanambe)

Facteur

Mais la lutte patine, même si les acquis sont élevés. Dans ces « zones rouges », comme dans le Menabe, la propagation et le risque de contracter des maladies graves provoquées par le paludisme sont élevés, certaines circonstances sociales ont aussi accéléré cette propagation et cette vulnérabilité. « Le paludisme touche de manière disproportionnée les groupes les plus vulnérables, rappelle le représentant résident de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Madagascar. Surtout les enfants qui sont dans une situation socio-économique de pauvreté. Voilà pourquoi on doit lutter pour protéger les enfants ».

Le changement climatique est un autre facteur qui entre en compte dans la lutte contre ce fléau et dans l’accroissement des cas dans une intensification de la lutte. « Le changement climatique entraîne des impacts sur la fréquence des cas de paludisme mais également sur d’autres maladies : les infections respiratoires, la diarrhée ou même les maladies de la peau », explique Brusa Andriamino, directeur de la lutte contre les maladies transmissibles au sein du ministère de la Santé publique.

Un agent du ministère de la santé publique montrant l’envol de la courbe des cas de paludisme dans le CSB II d’Analaiva (à g.), prise en charge d’un petit garçon impaludé (à dr.) Bleen/Raoto Andriamanambe)

Stratégies

Dr. Laurent Musango abonde dans ce sens. « Le changement climatique fait qu’il y a de plus en plus de cyclones, ce qui entraîne des pluviométries importantes. (C’est un facteur) de la transmission de la maladie. Nous devons en tenir compte dans la lutte et (veiller à une) attention particulière », note-t-il. La hausse des températures, des précipitations et de l’humidité peut entraîner la prolifération des moustiques porteurs du paludisme dans les régions de haute altitude, favorisant une augmentation de la transmission dans des régions qui, jusqu’alors, n’étaient pas exposées.

La Grande île dispose d’un programme national de lutte contre le paludisme qui fédère les partenaires techniques et financiers, dont les plus importants sont l’USAID qui finance le projet Impact mis en œuvre par le PSI à Madagascar. Diverses stratégies sont mises en œuvre : le Traitement préventif intermittent (TPI) pour les femmes enceintes, les prises en charge (PEC), la surveillance communautaire, l’usage de moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII), la Gestion intégrée des vecteurs (GEV)… Mais la nature a également largement sa place dans cette lutte contre la moustique (l’espèce Anopheles coustani). « Nous encourageons les familles à élever des canards ou à faire des activités piscicoles dans les rizières. Ce sont des prédateurs naturels des larves de moustique », développe Ravaoarisoa, agent communautaire.

La lutte est encore de longue haleine, le paludisme est loin de s’avouer vaincu malgré une mobilisation massive. Mais de petites et grandes victoires pavent le chemin. « Heureusement que les soins sont gratuits. D’ici quelques jours, Christian sera sur pied et pourrait retourner à l’école », se félicite le père de l’enfant. Sa destinée aurait pu être tout autre sans cette prise en charge…

Raoto Andriamanambe

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